le cours des choses

Notes à la marge

Notes sur Trump (3) : « Trump digs coal »

Publié le 21 Novembre 2016

Donald Trump avait fait du charbon un des axes de sa campagne électorale, ce qui lui a permis de prendre un avantage décisif dans des États comme l’Ohio et la Pennsylvanie. Si sa dénonciation de « l’arnaque du changement climatique » et des régulations de l’ère Obama a visiblement ravi une partie des mineurs, elle n’a pas soulevé le même enthousiasme chez leurs patrons, qui ne savent que trop bien que le retour aux bons vieux temps carbonifères est plus qu’improbable. Les nouvelles réglementations écologiques jouent certes un rôle mais la fracturation hydraulique aussi, le gaz étant devenu plus concurrentiel que le charbon, pour la production d’électricité notamment. Et de toute manière, l’automation a nettement progressé dans le secteur, ce qui explique en grande partie la chute du nombre de mineurs américains de 250 000 en 1980 à 50 000 aujourd’hui.
Le « survivalisme minier » qui a fait les affaires de Trump n’est pas une exclusivité américaine. Ainsi le « mythique » syndicat anglais NUM fait désormais campagne pour le « charbon propre », ce qui n’a pas manqué de créer des débats cocasses avec les nouvelles générations d’activistes environnementaux, dont John Cunningham s’est fait l’écho dans un texte très instructif. La vague mondiale de protectionnisme déjà bien amorcée devrait d’ailleurs, sous prétexte de mix énergique autarcique, amplifier le roll-back et reporter sine die les restructurations hier « inexorables », de l’Inde à la Pologne. On sait de toute façon depuis Timothy Mitchel et son décisif Carbon democracy, que le destin du charbon et des mineurs a, au bout du compte, peu à voir avec des questions d’ordres techniques ou climatiques mais bien plutôt à celle du pouvoir « exorbitant » et donc de la centralité sociale acquise par cette fraction de la classe ouvrière et que la transition au tout-pétrole a largement érodé. Et à ceux qui ne s’expliquent pas que des « working class heroes » amènent un ploutocrate au pouvoir, on peut rappeler que le tournant réactionnaire des mineurs américains ne date pas d’hier, comme l’illustre ce qui a été considéré comme un tournant dans le domaine, la controverse sur les manuels scolaires du comté de Kanawha en 1974.
Le 11 avril 1974, le commission de gestion des écoles du comté de Kanawha dans l’ouest de la Virginie s’est réuni pour avaliser la sélection de manuels scolaires et de livres pour la bibliothèque municipale et ce, alors que l’autorité de l’État dans le domaine avait demandé que cette sélection reflète mieux la diversité raciale du pays. Les livres proposés comprenaient donc des oeuvres de la beat generation, de George Orwell, Arthur Miller, Sigmund Freud ainsi que des textes d’Eldrige Cleaver et l’autobiographie de Malcom X. Ce qui relevait en général de la routine fut perturbé par Alice Moore, la femme d’un prêcheur fondamentaliste, qui siégeait dans la commission et qui dénonça des livres « antipatriotiques, favorisant les noirs », inadaptés à la culture locale. Sa protestation entraina le lancement d’une vaste campagne de boycott des écoles, lancée par les diverses congrégations évangélistes. La situation s’envenima très vite puisque 9000 élèves sur 45 000 cessèrent d’aller en cours, des bombes furent déposées devant plusieurs écoles, on tira sur des bus scolaires et les maisons d'enfants qui continuaient à aller à l’école furent caillassés. Des « picket lines » furent dressés sur les routes et devant les commerces, paralysant l’activité. Mais l’estocade fut vraiment donnée quand les 3500 mineurs de la mine locale se mirent en grève contre les nouveaux manuels scolaires bientôt suivis par les chauffeurs de bus et de poids lourds. Un compromis bancal fut atteint qui permis de mettre fin à la crise, la commission acceptant quelques règles préalables imposée par Alice Moore telles que la « nécessité pour les livres sélectionnées de ne pas diffamer les pères fondateurs et de défendre les valeurs des États-Unis. » Ce mouvement de Kanawha a été par la suite considéré comme un tournant et comme la première victoire des évangélistes conservateurs dans le domaine de l’éducation et plus largement le signe de l’essor d’une nouvelle droite religieuse promise à un grand avenir.
Dans The Big Sort, Bill Bishop revient longuement sur cet épisode qu’il juge significatif de « l’inversion de la lutte des classes » qui aurait commencé dans les années 70. Il rappelle que les familles les plus mobilisées contre les nouveaux manuels scolaires venaient des milieux ruraux les plus pauvres, tandis que ceux-ci étaient défendus par les plus fortunés basés principalement dans la grande ville de la région, Charleston.  Pour Bishop, c’est dans ce comté de Virginie qu’a commencé à se dessiner une nouvelle ligne d’affrontement avec d’un côté les urbains, aisés et éduqués, fréquentant les églises protestantes libérales et les pauvres, ruraux et sans diplômes, largement gagnés au néo-fondamentalisme. Il note pourtant que les mêmes mineurs qui s’étaient lancés dans cette grève sauvage de soutien, venaient par ailleurs de renverser W.A Boyle le dirigeant corrompu de leur syndicat UMWA,  bientôt condamné pour avoir commandité le meurtre d’un opposant interne ‘Jock’ Yablonski, et ce pour nommer Arnold Miler, issu du même comté de Kanawha. Surprenante convergence donc, entre autonomie prolétarienne et préoccupations réactionnaires.
Quoi qu’il en soit, les dernières mines du comté sont en train de fermer et Trump y a obtenu 57% des voix et ce, alors que les scandales liés aux pollutions, de l’eau notamment, laissées derrière elles par les compagnies minières se multiplient et que le programme de retraites du syndicat UMWA accuse un « trou » de 5,6 milliards de dollars, et risque donc une faillite retentissante. Il a été noté que l’autre caractéristique principale des électeurs de Trump, en plus d’être blancs et non-diplomés, est qu’ils vivent dans des communautés qui, du fait d’une prévalence marquée de diverses affections chroniques, sont « littéralement en train de mourir » ( IIlness as indicator The Economist 19/11). Le clown Trump est donc la figure pour le moins « nécropolitique », comme on dit de nos jours, de ce crépuscule.