le cours des choses

Notes à la marge

Notes sur Trump (5/b) , au fil des nominations..

Publié le 16 Décembre 2016

L'honneur des pollués

La nomination de Scott Pruitt un climato-sceptique et surtout une marionnette de l'industrie pétrolière à la tête de l'agence de protection de l'environnement, a été célébrée par Donald Trump lors d'un meeting à Baton-Rouge en Louisiane, où il s'est notamment réjoui, à l'instar de Serge Halimi et de quelques autres, de la victoire du vrai peuple sur l'intelligentsia new-yorkaise. « They’re on a respirator right now, they’re gasping for air » a-t-il notamment déclaré au sujet de celle-ci, ce qui ne manque pas de piquant compte tenu de ses promesses d'en finir avec les régulations écologiques « tueuses d'emplois » et de construire de nouvelles raffineries. Promesses accueillie certes avec enthousiasme dans un État extrêmement dépendant des industries extractives. On a pu d'ailleurs, pour la Louisiane, faire le rapprochement avec le coton. Comme le note Arlie Russel Hochschild dans Stranger in their Own Land : Anger and Mourning on the American Right : «  Le nouveau coton, c'est le pétrole, mais la culture de la plantation continue (..) Ce que le pétrole et le gaz ont fait c'est de remplacer l'agriculture par une « plantation » de pétrole. Comme le coton, le pétrole est une marchandise qui nécessite de lourds investissements pour être produite et qui en est venue, comme le coton et le sucre, à dominer toute l'économie. Le parallèle entre le coton et le pétrole a bien sûr ses limites. Les « barons » du coton n'ont pas promis la prospérité aux paysans pauvres et aux esclaves comme l'a fait à l'ère moderne, l'industrie pétrolière. Sur le versant positif, le pétrole restaure l'honneur perdu. Si le système de plantation a couvert le sud de honte aux yeux de la nation, le pétrole a ramené de la fierté. »

Ce livre est une intéressante tentative, à la suite de celle de Thomas Frank ( Pourquoi les pauvres votent à droite), de comprendre les ressorts du vote réactionnaire d'une partie de la classe ouvrière américaine, et ce, en s'appuyant plus spécifiquement sur les questions d'environnement. Comme l'auteure le constate dans son introduction : «  A travers le pays, les États républicains ( red states) sont plus pauvres et comptent plus de filles-mères, plus de divorces, ont un moins bon état de santé général, plus d'obésité, plus de morts violentes, un taux de scolarisation moindre. En moyenne les habitants des États républicains meurent cinq ans plus tôt que ceux qui vivent dans des États démocrates. Ainsi la différence d'espérance de vie entre la Louisiane et le Connecticut est la même qu'entre les États-Unis et le Nicaragua. Les États républicains souffrent aussi plus d'un mal éminemment important, pourtant peu documenté et qui concerne l’intérêt personnel de chacun, au sens premier de vie ou de mort : la pollution industrielle. »

Effectivement, des enquêtes ont constaté que la pollution aux États-Unis suit en général une ligne politique, les États républicains étant ceux où l'on pollue le plus, du fait notamment de régulations plus lâches, qui permettent d'ailleurs aux États démocrates d'externaliser leurs « coûts environnementaux »... Tout comme Thomas Frank, Russell-Hoschchild ne parvient toutefois pas véritablement à percer le mystère de ce vote républicain, notamment face à cet ancien employé de l'industrie chimique, acteur, victime mais aussi dénonciateur de la pollution du Bayou qui est pourtant devenu un fervent partisan du Tea Party. « Alors que toute son existence se résume à une trahison aux mains de l'industrie, il ressent désormais que c'est le gouvernement fédéral qui l'a le plus abandonné. » Gouvernement fédéral accusé de donner la priorité à ceux qui « trichent » (les noirs, les femmes, bref tous les bénéficiaires des luttes des années 60/70) et ne respectent pas les valeurs du rêve américain. La pollution comme rapport social, est donc aussi le produit de cette « logique de l'honneur » (ibid) du travail, orpheline du capital, devenue course à l'abime identitaire et surtout « idiot utile » de la pétrocratie.

 

So long, (green) New-deal ?

La nomination de Rick Perry, ancien gouverneur du Texas et autre homme de paille des grands groupes pétroliers, à la tête du département de l'énergie, confirme la méthode Trump qui consiste à nommer à la tête des administrations fédérales des personnes ayant juré leur perte par le passé. Ce Perry a une autre caractéristique, il se gargarise d'être membre de l'AFL-CIO (via son adhésion au syndicat des acteurs américains) alors qu'il est, comme il se doit dans le Sud, un ennemi féroce des syndicats. Comme le rappelle un syndicaliste : «  Ces dernières années, il s'est opposé à une hausse du salaire minimum, a rejeté pour des motifs idéologiques des dizaines de milliards de dollars d'aides fédérales pour étendre la couverture santé Medicaid et il a supprimé l'assurance chômage pour plusieurs catégories de travailleurs licenciés ».

Un des rares secteurs qui a fait, et fait encore marginalement exception dans ce paradis patronal « sudiste » c'est justement celui de l'énergie et plus particulièrement des raffineries. Comme la rappelle Tyler Priest and Michael Botson dans leur article Bucking the Odds: Organized Labor in Gulf Coast Oil Refining, les raffineries étaient les seules au Texas ou en Louisiane à offrir des emplois équivalents à ceux de l'industrie automobile du nord et la réussite d'une campagne de syndicalisation de la CIO, pendant et après la guerre, en fit une exception importante dans la région, i-compris dans l'intégration des Noirs.

Or, les auteurs notent que « La race était un facteur saillant dans les luttes ouvrières mais ne fut pas la première cause de déclin du syndicat. Dans les années 50, le management a ré-affirmé son pouvoir, non pas tellement par la manipulation des divisions raciales parmi les travailleurs, mais plutôt par l'embauche de travailleurs temporaires et l'application de nouvelles technologies pour réduire le besoin en main d'oeuvre. Au moment même où les minorités s'approchaient enfin de l'égalité dans les raffineries, avec l'aide notamment des lois anti-ségrégations des années 60, le marché du travail s'y resserrait et les protections syndicales s'affaiblissaient . »

On sait que ce chassé-croisé entre intégration des minorités et restructuration a eu lieue dans toutes les autres grandes industries et détermine pour partie encore la situation actuelle. Ainsi, suite à la reprise en main : «  Avec moins d'emplois disponibles, la polarisation raciale s'accrue et beaucoup de travailleurs blancs commencèrent à considérer les syndicats comme faisant partie d'un « establishment libéral » qui donnait à travers ses programmes d'affirmative action des avantages indus aux minorités. » (ibid)

A ce « rendez-vous » manqué et ses conséquences, on serait tenté d'en faire correspondre un autre, cette fois entre luttes écologistes et ouvrières, vieux serpent de mer des débats dans la « gauche » américaine et question remise sur le tapis régulièrement, comme lors des récentes luttes contre le pipeline Keystone . Et, de fait, les pronostics quant à un éventuel « Green New-deal » ouvrant une nouvelle ère d'accumulation du capital, ont probablement péché par optimisme, non du fait de la nature intrinsèquement destructrice de ce dernier, mais bien car aucun « nouveau » cycle de lutte n'était en mesure de le forcer à accélérer une telle transition. La fausse « conscience malheureuse »  évoquée plus haut, héritée du cycle précédent, et sur laquelle surfe encore Rick Perry and co, en témoigne aussi à sa manière.